Aide familiale philipinne - La victoire de David contre Goliath
Ce document est une ressource clé
- Date
2010-01-30
- Auteurs
David Santerre
- Titre du journal
Rue Frontenac
- Lieu de publication
Montreal
- Texte complet
Une aide familiale philippine qui a été congédiée et calomniée par la famille québécoise qui l’employait, et qui la croyait erronément atteinte de tuberculose et très contagieuse, a obtenu gain de cause quand un juge a condamné ses ex-employeurs à lui verser 8 000 $.
La hargne de cette famille a même mené à l’arrestation et à la détention pendant près de 24 heures de la jeune dame qui n’avait finalement pas le moindre reproche à s’adresser.
Dans un jugement rendu il y a quelques semaines, le juge Alain Breault, de la Cour du Québec, raconte qu’en 2003, Leila, un nom fictif car nous ne pouvons identifier la femme sur ordre du tribunal, a entamé des démarches pour s’établir au Canada en vertu d’un programme facilitant l’immigration de jeunes femmes désirant travailler à titre d’aide familiale.
Comme le requérait la procédure, elle a consulté un médecin de Manille reconnu par l’ambassade du Canada, afin de subir une évaluation médicale.
Quatre ans plus tôt – elle avait alors 22 ans –, elle avait été diagnostiquée de la tuberculose, une infection pulmonaire très contagieuse. Elle a été traitée et en est guérie.
« Après un examen, sa condition médicale est déclarée sécuritaire. Elle respecte les normes médicales en vue de son immigration au Canada », écrit le juge Breault au sujet de l’évaluation médicale qu’elle a subi en 2003.
Maigre salaire
Leila est arrivée au Canada en janvier 2004 et a trouvé en mars un boulot comme aide familiale résidante dans une famille de deux jeunes enfants. Le plus jeune souffrait d’asthme, alors que le troisième qui allait naître en décembre suivant serait atteint de problèmes rénaux.
Leila signa un contrat de 24 mois pour un maigre salaire de 7,30 $ de l’heure pour 40 heures par semaine.
Tout se passe bien jusqu’au début de 2006 lorsqu’elle constate dans son cou l’apparition d’une bosse de la taille de son pouce. Elle en parle à son employeuse qui lui a fait voir un médecin ami de ses parents.
«Incapable de se prononcer sur la cause précise de cette excroissance, il mentionne cependant qu’elle pouvait être liée à une maladie tuberculeuse », lit-on toujours dans le jugement.
À l’Hôpital général juif, où elle se soumettra dès le lendemain à des prises de sang, elle confia au médecin spécialiste qui l’a vue qu’elle a souffert de tuberculose par le passé. Plus tard le même jour, elle le confia également à la mère de sa patronne.
Congédiée et arrêtée
Le lendemain, soit le 10 mars, elle fut congédiée, au téléphone, par son employeuse.
Au procès, celle-ci a raconté que Leila « connaissait parfaitement la condition médicale précaire (des deux plus jeunes enfants). Elle considère que (Leila) a sérieusement mis la santé de ses enfants en danger et brisé la confiance qui devait exister entre elles », rapporte le juge Breault.
La bosse au cou de Leila sera toutefois diagnostiquée comme étant « une adénite d’une glande ou d’un ganglion lymphatique », sans le moindre risque de contagion.
Six mois plus tard, des agents d’Immigration Canada se sont présentés chez Leila, qui habitait avec sa sœur et son beau-frère.
« Un masque bucco-nasal lui est remis et elle est sommée de le porter immédiatement. Elle est questionnée sur son statut d’immigrant au Canada et, à cet égard, on lui demande d’exhiber ses documents pertinents. Les agents avisent (Leila) qu’elle doit les suivre. Elle est aussitôt menottée. Elle est amenée au Centre de détention à Laval où elle fait l’objet d’une fouille, sans être dévêtue cependant. Elle est conduite par la suite dans une petite cellule et y passera la nuit », décrit le juge.
Goulara Iskakova, qui était chargée du dossier à Citoyenneté et Immigration Canada, a indiqué qu’une plainte aurait été reçue en mai 2006, disant que Leila « était porteuse de tuberculose active et refusait de se faire soigner ». Plainte qui provenait de l’ex-employeuse de l’immigrante philippine.
Mais après une nuit de détention et un examen médical, il fut constaté que Leila n’était pas du tout contagieuse et elle fut relâchée.
Poursuites
Leila a ainsi déposé une poursuite de 50 000 $ contre ses ex-patrons pour dommages moraux, troubles et inconvénients.
Ses employeurs ont répliqué par une poursuite de 30 000 $ contre elle.
Le juge conclut qu’il est clair des résultats de tests médicaux subis par Leila qu’elle ne souffrait d’aucune maladie contagieuse et qu’elle « n’avait aucune obligation de divulguer quoi que ce soit à (ses patrons) au sujet de la tuberculose dont elle avait souffert quelques années avant d’être engagée par eux ».
Il rejette donc la poursuite des patrons.
Quant à celle de Leila, il lui donne raison, accordant toutefois nettement moins que les 50 000 $ réclamés.
Il considère que l’ex-employeuse n’avait aucun droit d’exposer « incorrectement » la situation médicale de Leila à Immigration Canada. Selon lui, elle a, « par une insinuation ou par témérité, laissé injustement entendre que (Leila) était porteuse d’une maladie contagieuse ou susceptible de l’être », tranche le juge Breault.
La faute de la femme quant à l’humiliante arrestation de Leila est toutefois minime. Car c’est Citoyenneté et Immigration Canada qui a décidé d’agir ainsi.
« Les circonstances entourant l’arrestation puis la détention de (Leila) laissent bien songeur. Il y a lieu de se questionner sur l’existence véritable de motifs raisonnables permettant aux agents d’Immigration Canada de mettre en œuvre leur opération et d’arrêter (Leila) sans mandat », conclut-il.
Ainsi, il condamne la famille à verser 8 000 $ à l’immigrante.
La victoire de l’underdog
Pour Evelyne Calugay, de l’organisation des femmes philippines du Québec PINAY, cette victoire est réjouissante pour les 2 000 aides familiales philippines du Québec, qui sont, selon elle, souvent exploitées, bafouées et sous-payées.
« Je félicite cette femme qui a persisté alors que ses droits étaient brimés, et ce, même si elle savait qu’elle était l’underdog dans cette histoire », commente-t-elle.
Elle dit que ces femmes n’osent jamais porter plainte, par manque d’argent, par peur de ne pas être écoutées, mais surtout par crainte de voir disparaître leurs chances d’obtenir leur résidence permanente au Canada.- Fichiers joints
- Liens
- Mots-clés
Philippine, aide familiale, congédiement, faible salaire, arrestation tuberculose
- Secteurs économiques
Home child care providers et Home support workers, housekeepers and related occupations
- Types de contenu
Cas d’abus documentés et Initiatives de soutien
- Pertinence géographique
Quebec
- Langues
Français