Rapport (final) du Comité de la liberté syndicale dans le dossier-Cas 2704, mars 2012
- Date
2012
- Résumé
Conseil d’administration BIT
313e session, Genève, 15-30 mars 2012 GB.313/INS/9
Section institutionnelle INS
NEUVIÈME QUESTION À L’ORDRE DU JOUR
Rapports du Comité de la liberté syndicale
363e rapport du Comité de la liberté syndicaleCas no 2704 (Canada): Rapport où le comité demande à être tenu informé de l’évolution de la situation
Plainte contre le gouvernement du Canada présentée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce – Canada (UFCW Canada)
appuyée par le Congrès du travail du Canada (CTC) – et UNI Global Union ...................................... 388-401
Conclusions du comité ............................. 394-400
Recommandation du comité .............................. 401- Nom de la conférence
363 ième rapport du Comité de la liberté syndicale
- Texte complet
CAS N° 2704
RAPPORT OÙ LE COMITÉ DEMANDE À ÊTRE TENU INFORMÉ DE L’ÉVOLUTION DE LA SITUATION
Plainte contre le gouvernement du Canada présentée par
le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce – Canada (UFCW Canada)
appuyée par le Congrès du travail du Canada (CTC) et UNI Global Union.
Allégations: L’organisation plaignante allègue que la loi sur la protection des employés agricoles, 2002 (AEPA), de la province de l’Ontario refuse les droits de négociation collective à tous les employés agricoles.388. Le comité a examiné ce cas pour la dernière fois à sa réunion de novembre 2010 et a présenté à cette occasion un rapport intérimaire au Conseil d’administration. [Voir 358e rapport, paragr. 335-361, approuvé par le Conseil d’administration à sa 309e session (novembre 2010).]
389. Le gouvernement a envoyé des observations dans des communications en date des 21 avril, 18 mai 2011 et 8 février 2012.
390. Le Canada a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. En revanche, il n’a pas ratifié la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Examen antérieur du cas
391. A sa session de novembre 2010, à la lumière des conclusions intérimaires du comité, le Conseil d’administration a approuvé les recommandations suivantes:
a) Le comité reste d’avis que l’absence de mécanisme quelconque pour la promotion de la négociation collective des travailleurs agricoles constitue un obstacle à l’un des principaux objectifs de la garantie de la liberté syndicale: l’établissement d’organisations indépendantes capables de conclure des conventions collectives. Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que le gouvernement provincial mette en place les mécanismes et procédures nécessaires pour la promotion de la négociation collective dans le secteur agricole et le prie de le tenir informé de tout progrès réalisé à cet égard. Des mécanismes appropriés peuvent être adaptés aux circonstances nationales sous réserve que les principes rappelés dans les conclusions ci-dessus soient pleinement respectés.
b) Le comité demande au gouvernement de fournir la décision de la Cour suprême du Canada concernant la constitutionnalité de l’AEPA dès qu’elle sera rendue et d’indiquer toute implication que cette décision pourrait avoir sur la question du droit à la négociation dans le secteur agricole de l’Ontario.B. Réponse du gouvernement
392. Dans sa communication datée du 21 avril 2011, le gouvernement transmet une communication du gouvernement provincial de l’Ontario, qui indique que la question-clé dont est saisie la Cour suprême est de savoir si la loi sur la protection des employés agricoles, 2002 (AEPA), transgresse le principe de la liberté d’association énoncé à l’article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon le gouvernement provincial, dans la mesure où les questions soulevées devant la Cour suprême sont très étroitement liées au présent cas, l’issue de la procédure engagée auprès de ladite Cour pourrait influer sur la nature de la réponse du gouvernement de l’Ontario au sujet du présent cas et peut-être aussi sur son approche de la question en général. Le gouvernement provincial n’est, par conséquent, pas en mesure de fournir d’autres commentaires ni de donner suite à la recommandation du comité visant à mettre en place des mécanismes et des procédures appropriés pour la promotion de la négociation collective dans le secteur agricole.393. Dans sa communication datée du 18 mai 2011, le gouvernement transmet une copie de la décision rendue par la Cour suprême du Canada au sujet de la constitutionnalité de l’AEPA de l’Ontario. Il indique en outre que le gouvernement provincial examine actuellement les implications de la décision de la Cour suprême et fournira des informations complémentaires ultérieurement. Dans sa communication en date du 8 février 2012, le gouvernement provincial se réfère à la décision rendue par la Cour suprême et indique que l’AEPA, correctement interprétée, prévoit aussi que les travailleurs agricoles doivent eux aussi considérer de bonne foi les observations, questions et préoccupations soulevées par les employeurs. Le gouvernement provincial ajoute qu’à l’heure actuelle aucun changement à la présente loi n’est prévu.
C. Conclusions du comité
394. Le comité note que le présent cas porte sur l’allégation selon laquelle les travailleurs agricoles ne peuvent recourir à la négociation collective du fait de l’adoption de l’AEPA de la province de l’Ontario.395. Le comité note que le gouvernement provincial indique, avant que n’ait été rendu le jugement sur la constitutionnalité de l’AEPA de l’Ontario, que dans la mesure où les questions dont est saisie la Cour suprême sont très étroitement liées au présent cas, l’issue de la procédure examinée par la Cour suprême peut influer sur la nature de la réponse du gouvernement de l’Ontario au présent cas et, éventuellement, sur son approche de la question en général. Le comité note également que, après avoir examiné les implications de la décision de la Cour suprême, qui a été rendue le 29 avril 2011, le gouvernement provincial conclut que l’AEPA, correctement interprétée, prévoit que les travailleurs agricoles doivent eux aussi considérer de bonne foi les revendications, questions et préoccupations soulevées par les employeurs. Le gouvernement provincial indique qu’à l’heure actuelle aucun changement à la présente loi n’est prévu.
396. De manière liminaire, le comité tient à souligner qu’il n’a pas pour mandat d’évaluer si les tribunaux nationaux appliquent la législation nationale et la Charte canadienne des droits et libertés, mais que sa mission consiste en revanche à déterminer si telle ou telle législation ou pratique est conforme aux principes de la liberté syndicale et de la négociation collective énoncés dans les conventions pertinentes. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 6.] A cet égard, le comité a été invité à se prononcer sur la conformité de l’AEPA avec les principes reconnus au niveau international et non en ce qui concerne sa constitutionnalité. Il veut croire que son examen du présent cas pourra être utile dans le cadre de l’examen au niveau national et provincial des questions en jeu.
397. Le comité note que, dans son arrêt du 29 avril 2011, la Cour suprême du Canada a rejeté la position de la Cour d’appel de l’Ontario selon laquelle l’AEPA est inconstitutionnelle et que l’article 2(d) de la charte exige l’adoption de lois qui mettent en place un modèle uniforme de relations de travail qui imposent, entre autres, une reconnaissance légale des principes de la représentation majoritaire exclusive. La Cour suprême a, d’une part, statué que l’AEPA ne porte pas atteinte à la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés en soutenant que l’article 2(d) de la charte protège le droit d’association dans le but d’atteindre des objectifs collectifs, que dans le contexte des relations de travail cela nécessite un véritable processus participatif qui permet aux associations d’employés de présenter des revendications aux employeurs qui doivent les prendre en compte en toute bonne foi et que l’AEPA, correctement interprétée, répond à ces exigences. D’autre part, la Cour suprême a conclu, s’agissant du jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, que la législation de l’Ontario n’est pas tenue d’octroyer une forme particulière de droit de négociation collective aux travailleurs agricoles afin d’assurer l’exercice effectif de leurs droits d’association.
398. Le comité souhaite indiquer que, si la Cour suprême a estimé que l’AEPA ne transgresse pas le principe de la liberté d’association énoncé à l’article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertés, elle a aussi indiqué que «l’AEPA ne dispose pas expressément que l’employeur a l’obligation d’examiner de bonne foi les revendications présentées par les salariés, mais qu’une telle obligation est implicite». La Cour a aussi indiqué que «toute ambiguïté concernant l’article 5 devrait être levée par l’interprétation selon laquelle il est du devoir des employeurs agricoles d’examiner de bonne foi les revendications présentées par les employés, toute loi devant être interprétée de façon à donner un sens et une portée à ses dispositions, et le Parlement et le corps législatif sont supposés donner effet à la charte». A cet égard, le comité accueille favorablement les conclusions de la Cour
suprême selon lesquelles les employeurs agricoles ont l’obligation de prendre en compte les revendications des employés de bonne foi, mais il demeure d’opinion que cette obligation, qu’elle soit implicite ou explicite, est insuffisante pour garantir les droits de négociation collective des travailleurs agricoles selon les principes de la liberté syndicale. Le comité rappelle à ce propos que la négociation collective implique un engagement continu dans un processus de concessions mutuelles qui reconnaît la nature volontaire de la négociation collective et l’autonomie des parties. De l’avis du comité, l’obligation de prendre en compte de bonne foi les revendications de l’employé, qui oblige simplement les employeurs à donner une opportunité raisonnable de présentation des revendications et de les lire ou de les entendre – même si cela est fait de bonne foi –, n’est pas de nature à garantir un tel processus. Le comité souhaite également rappeler l’importance qu’il attache à l’obligation de négocier de bonne foi pour le maintien d’un développement harmonieux des relations professionnelles et qu’il importe qu’employeurs et syndicats participent aux négociations de bonne foi et déploient tous leurs efforts pour aboutir à un accord, des négociations véritables et constructives étant nécessaires pour établir et maintenir une relation de confiance entre les parties. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 934 et 935.] A cet égard, et comme suite à ses conclusions antérieures [voir 358e rapport, paragr. 357-360], le comité souligne une fois de plus que «l’un des buts principaux de la garantie de la liberté syndicale est de permettre aux employeurs et aux salariés de s’unir en organisations indépendantes des pouvoirs publics, capables de régler, par voie de conventions collectives librement conclues, les salaires et autres conditions d’emploi». [Voir Recueil, op. cit., paragr. 882.]399. Le comité exprime sa vive préoccupation quant à l’efficacité de simples dispositions de l’AEPA autorisant la présentation d’observations, étant donné que depuis l’adoption de la loi en 2002 il semble n’exister aucun accord négocié avec succès ni aucune indication de négociations menées de bonne foi. Par conséquent, le comité demeure d’avis que l’absence de mécanisme expressément cité de promotion de la négociation collective destiné aux travailleurs agricoles constitue un obstacle à l’un des principaux objectifs de la garantie de la liberté syndicale. Il observe en outre qu’il ne semble exister aucune disposition reconnaissant le droit de grève des travailleurs agricoles, ce qui doit inévitablement influer sur la capacité que ces derniers ont d’entamer de véritables négociations sur la base d’une liste de revendications. A cet égard, le comité rappelle qu’il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux, et il souligne que le secteur agricole ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 521 et 587.]
400. En conséquence, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que le gouvernement provincial de l’Ontario réexamine l’AEPA en consultant pleinement les partenaires sociaux concernés en vue d’instituer les mesures ou les mécanismes appropriés pour que des négociations collectives pleines et entières puissent être organisées dans le secteur agricole, y compris en garantissant que les travailleurs agricoles puissent entreprendre des actions collectives sans encourir de sanctions. A cette fin, et tout en soulignant qu’il existe de nombreux systèmes de négociation collective différents dans le monde qui sont compatibles avec les principes de la liberté syndicale, le comité invite les parties concernées à recenser les caractéristiques et les conditions propres à ce secteur, en rapport avec la négociation collective, et de passer en revue les mesures prises dans d’autres provinces lors du processus d’examen des mesures appropriées qu’il convient de prendre pour promouvoir la négociation collective dans le secteur agricole de l’Ontario. Le comité demande à être tenu informé des points de vue des partenaires sociaux et des progrès réalisés à cet égard.Recommandation du comité
401. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que le gouvernement provincial de l’Ontario réexamine l’AEPA en consultant pleinement les partenaires sociaux concernés en vue d’instituer les mesures ou les mécanismes appropriés pour que des négociations collectives pleines et entières puissent être organisées dans le secteur agricole, y compris en garantissant que les travailleurs agricoles puissent entreprendre des actions collectives sans encourir de sanctions. A cette fin, et tout en soulignant qu’il existe de nombreux systèmes de négociation collective différents dans le monde qui sont compatibles avec les principes de la liberté syndicale, le comité invite les parties concernées à recenser les caractéristiques et les conditions propres à ce secteur, en rapport avec la négociation collective, et à passer en revue les mesures prises dans d’autres provinces lors du processus d’examen des mesures appropriées qu’il convient de prendre pour promouvoir la négociation collective dans le secteur agricole de l’Ontario. Le comité demande à être tenu informé des points de vue des partenaires sociaux et des progrès réalisés à cet égard.
***- Pertinence géographique
Ontario, Quebec et National relevance