2014-08-04
Olivier Gamelin
Trois-Rivières) Des asperges montées en fleurs faute de main-d'oeuvre pour les récolter, des fraises qui pourrissent sur les plans par manque de journaliers dans les champs, autant de réalités qui découlent du renforcement des règles fédérales quant à l'embauche de travailleurs étrangers temporaires. Une situation que déplorent certains agriculteurs de la région qui font les frais de ce resserrement de vis à double tour.
La Presse
«Ça fait longtemps qu'on se bat pour avoir de la main-d'oeuvre. Il y a eu une petite accalmie ces dernières années, mais là on va recommencer à faire de l'insomnie», regrette Alain Beaubien de la ferme Le Saisonnier.
«Cette année c'est pire que l'an passé, renchérit Sylvie Benoît de la Ferme du Domaine. Il y a eu des problèmes avec les visas, les contrôles sont plus serrés et plus longs pour l'obtention des permis. Dès qu'il manque une information, il faut tout recommencer du début. Ça prend plus de temps qu'habituellement.»
Les difficultés à trouver du personnel qualifié seraient si nombreuses que des récoltes se perdent dans les champs.
«C'est assez problématique. Ici on aurait eu besoin de quatorze personnes supplémentaires, et on n'est pas les seuls agriculteurs à vivre cette pénurie. Étant donné qu'on n'a pas de main-d'oeuvre, les fraises se gâtent, parce que les fraises, comme les asperges, quand elles sont prêtes il faut les ramasser sans tarder. Quand les asperges montent en fleurs, c'est trop tard pour les récolter», se désole Mme Benoît.
Au printemps, la Ferme du Domaine a dû fermer certains de ses champs, cumulant ainsi des pertes financières importantes.
«Ç'a été extrêmement difficile cette année, avoue le propriétaire Jean-Yves Renel avec consternation. Nous avons perdu le contrôle d'un certain nombre de champs d'asperges, car avec les grandes chaleurs, il faut récolter la journée même sinon le lendemain tout est perdu. Compte tenu du manque d'effectifs, nous avons fermé carrément des champs. On estime à plus de 100 000 $ les pertes que nous avons encourues. Ça fait très très mal.»
M. Renel comprend que le gouvernement doit établir des règles en matière de travailleurs étrangers, mais les resserrements qu'il impose sont exagérés.
«Non seulement on a payé 155 $ pour le visa et 189 $ pour le certificat d'acceptation du Québec par travailleur, mais même si on ne les a pas accueillis, le gouvernement ne nous rembourse rien. Nous avons tout fait ce qu'on nous demandait, mais en vain. On a payé pour rien. Pour nous c'est trop tard pour cette année, le mal est fait», s'insurge-t-il.
À l'organisme FERME, qui chapeaute 95 % des demandes d'embauche des travailleurs étrangers temporaires, on confirme que les règles gouvernementales se compliquent d'année en année.
«Beaucoup de changements arrivent en même temps, dans un contexte de réduction du personnel dans les ambassades canadiennes. Les règles en matière de sécurité sont particulièrement restrictives. Et qui paie au bout du compte? C'est l'agriculteur qui est pénalisé et qui doit subir les conséquences liées à ces délais additionnels», souligne Denis Hamel, directeur général à FERME.
Informé de cette situation, le consul général du Mexique, Francisco del Rio, avoue qu'il n'est pas de son ressort de revendiquer auprès du gouvernement canadien des règles plus souples en matière de travailleurs étrangers temporaires.
«Nous avons un accord avec le Canada qui a plus de 40 ans. À chaque mois de novembre, nous avons une réunion avec les autorités touchées par ce programme afin de résoudre les diverses problématiques liées à ce programme. Mais les cultivateurs canadiens doivent parler eux-mêmes à leur gouvernement.»
Un rôle indispensable
Les travailleurs étrangers temporaires jouent désormais un rôle indispensable dans l'agriculture régionale. Certains producteurs ne pourraient tout simplement pas se passer de cette main-d'oeuvre de plus en plus inaccessible. C'est le cas de la ferme Le Saisonnier de M. Beaubien.
«Le jour où je ne serai plus capable de recruter des travailleurs étrangers, je ferai pousser autre chose sur mes terres. Moi, si je me fais enlever mes travailleurs étrangers, je vais planter autre chose que des légumes, genre du maïs-grain. C'est une main-d'oeuvre importante pour moi et pour tout ceux qui cultivent des petits légumes.»
Idem à la ferme biologique Les jardins Baril, tenue à bout de bras par Jean-François Baril. Le cultivateur maraîcher est clair: s'il n'avait pas accès aux douze travailleurs étrangers qui ratissent actuellement ses champs, il devrait fermer ses portes.
«Les nouvelles règles du fédéral nous donnent des maux de tête, car il y a de plus en plus de bureaucratie et de paperasse. Cette année, j'ai réussi à avoir les travailleurs dont j'ai besoin, sinon je serais fermé depuis longtemps. Si le gouvernement resserre les règles encore plus et me coupe ne serait-ce que deux travailleurs étrangers, je vais avoir des problèmes et devrai diminuer mes superficies cultivables. Je ne peux pas me fier du tout à la main-d'oeuvre locale. Pour moi, c'est la fermeture immédiate.»
Manque de main-d'oeuvre locale?
Plus difficile encore que de dénicher des travailleurs étrangers temporaires, il semble que les travailleurs locaux soient de véritables merles blancs dans les champs québécois. Si elle se dit très satisfaite du rendement des deux travailleurs étrangers qui oeuvrent sur ses terres, Isabelle Dessureault de la ferme Paquette-Dessureault, se questionne sur l'attitude des Québécois quant au travail agricole.
«Nos travailleurs étrangers, ils sont responsables, ponctuels et de bonne humeur. Mais on a de la difficulté à trouver de la main-d'oeuvre locale. Souvent les gens souhaitent travailler au noir, ou bien ils ne veulent pas travailler la fin de semaine. Y'a beaucoup de contraintes.»
Une opinion généralisée reprise par plusieurs cultivateurs maraîchers, entre autres M. Beaubien, qui ne mâche pas ses mots. «Ici, oublie ça, les gens n'ont pas faim, ils n'ont pas besoin d'argent. La plupart des agriculteurs ont pris le même chemin. Ils ont commencé par utiliser de la main-d'oeuvre du Québec, mais vu le manque, ils se sont résignés à prendre de la main-d'oeuvre étrangère.»
Selon Jean-François Baril, il est faux de croire que les travailleurs étrangers temporaires «volent les jobs» des travailleurs locaux. «C'est complètement faux. Depuis quatre ou cinq ans, aucun Québécois n'est venu donner son nom pour récolter nos légumes. C'est trop dur. La nouvelle génération n'a pas d'intérêt pour ce genre de travail. On essaie souvent de trouver des travailleurs locaux, mais sans succès.»
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