2013.03.01 au 2013.09.30, 13:51 à 13:51
Montréal, le 20 juin 2013
À : M. Bertrand St-Arnaud, Ministre de la Justice du Québec
OBJET : Confirmation de notre disponibilité en tout temps pour une rencontre afin de discuter des dix éléments de réforme nécessaires à un accès à la justice pour tous les travailleurs migrants au Québec
En décembre 2011, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) émettait un avis juridique à l’effet que les travailleuses et travailleurs migrants au en emploi peu spécialisé font l’objet d’une discrimination systémique en violation de la Charte des droits et libertés de la personne. Suivant ce constat, nous vous présentons dix dispositions du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers (RSRE) et pratiques administratives du ministère Immigration et Communautés culturelles Québec (MICC) qui doivent être modifiées afin de respecter la Charte québécoise. Suite à l’absence de suivi en la matière assuré par le MICC, nous aimerions vous confirmer notre disponibilité en tout temps pour discuter de ces dix points problématiques associés au système québécois d’immigration et à l’origine de violations systémiques des droits et libertés des travailleurs migrants au Québec.
Interdiction de changer librement d’employeur
1. Article 50 c) RSRE qui stipule que les certificats d’acceptation du Québec (C.A.Q.) émis par le MICC doivent être liés à un employeur spécifique, sauf exception pour le secteur agricole [PTET et PAFR]
Cette disposition fait obstacle à la possibilité pour le travailleur de changer d’employeur librement puisqu’il perdrait la possibilité de travailler pour quiconque au Canada ainsi que, pour plusieurs, son lieu de résidence. Le travailleur devient ainsi complètement dépendant de la bonne volonté de cet employeur. L’émission de C.A.Q. ouvert ou sectoriel uniquement en cas de possibilité d’obtention d’un permis de travail fédéral ouvert ou sectoriel pallie à ce problème. L’Alberta a exigé du fédéral qu’il émette des permis de travail sectoriels pour plusieurs types d’occupation; le gouvernement du Québec peut en exiger autant pour toutes les occupations.
2. Directive administrative du MICC imposant aux travailleurs agricoles mexicains et caribéens un contrat de travail avec clause interdisant le changement d’employeur au Québec sans le consentement de l’employeur initial et d’un représentant du gouvernement de leur pays d’origine [PTAS]
En imposant un contrat de travail prévoyant une telle clause, le gouvernement accepte de soumettre complètement le travailleur à la volonté de l’employeur et de l’agent consulaire, le laissant sans recours advenant des abus. La Colombie-Britannique utilise son propre contrat-type pour les travailleurs agricoles mexicains et caribéens plutôt que celui du fédéral ; le gouvernement du Québec peut en faire autant et imposer un contrat de travail standard reconnaissant le droit du travailleur de changer en tout temps d’employeur durant toute la durée de validité de son certificat d’acceptation du Québec.
3. Pratique administrative du MICC permettant, d’une part, la validation de contrats de travail avec clause reconnaissant à l’employeur et/ou à un représentant de gouvernement étranger le privilège de procéder au rapatriement prématuré non volontaire du travailleur [PTAS] et, d’autre part, l’exécution d’un rapatriement prématuré par une coalition d’employeurs (F.E.R.M.E.) et/ou un représentant de gouvernement étranger [PTET/secteur agricole/Guatemala, Honduras, Salvador et PTET/secteur agricole/autres pays d’origine ]
En validant des contrats de travail permettant à l’employeur d’enclencher un processus de rapatriement prématuré du travailleur de manière totalement discrétionnaire, le gouvernement endosse la pratique répandue selon laquelle l’employeur peut faire renvoyer un travailleur dans son pays si ce dernier le confronte relativement à un abus de ses droits. Il en va de même en ce qui concerne l’acceptation d’octroyer ce privilège au représentant consulaire et au regroupement d’employeurs F.E.R.M.E. À ce titre, le Québec peut, à l’instar de la Colombie-Britannique, imposer son propre contrat-type non seulement pour les travailleurs mexicains et caribéens mais pour tous les travailleurs agricoles. Cela permettrait d’assurer à ces derniers une reconnaissance explicite du droit de demeurer au Québec en cas de renvoi par l’employeur ainsi que d’exercer leurs droits, y compris celui de se trouver un autre employeur et celui d’accéder à la justice, durant toute la durée de validité du C.A.Q.
4. Pratique administrative du MICC permettant le contrôle par une coalition d’employeurs de l’administration du (re)placement en emploi au Québec dans leur secteur : les autorisations d’embauche doivent passer par l’un des Centres d’emploi agricole (CEA) administrés par l’Union des Producteurs Agricoles (UPA) sous la supervision de F.E.R.M.E. [PTAS et PTET/agricole/Guatemala, Honduras, Salvador].
En déléguant au regroupement d’employeurs F.E.R.M.E. le pouvoir de contrôler le placement et le replacement au Québec des travailleurs agricoles étrangers, pouvoir préalablement exercé par le gouvernement, le Québec endosse les pratiques de placement en emploi d’employeurs de refuser de réembaucher un travailleur ayant tenté de faire valoir leurs droits ou victimes d’un accident de travail au Québec. Cette pratique fait ainsi obstacle à l’accès à la justice, au droit de changer librement d’employeur et à la possibilité d’exercer leurs droits du travail pour ces travailleurs agricoles. Afin de minimiser ces pratiques hautement problématiques pour l’exercice des droits humains au Québec, le gouvernement doit reprendre le contrôle du (re)placement en emploi des travailleurs agricoles étrangers, notamment en imposant une présence syndicale paritaire au sein de l’administration de chaque CEA. De plus le gouvernement doit reprendre le contrôle du recrutement étranger et de la supervision des conditions de travail des travailleurs étrangers temporaires, notamment en imposant une présence syndicale paritaire au sein de l’administration de tout organisme autorisé par le gouvernement à procéder à du recrutement de travailleurs à l’étranger et/ou à superviser les conditions de travail de travailleurs étrangers temporaires au Québec.
Obligation de résider chez l’employeur ou à l’endroit désigné par ce dernier
5. Pratique administrative du MICC permettant la validation de contrats de travail avec clause obligeant le travailleur à résider à l’endroit désigné par son employeur [PTAS]
En validant des contrats de travail obligeant le travailleur à habiter sur les lieux désignés par l’employeur, le gouvernement viole le droit à la liberté du travailleur et impose un obstacle majeur à l’exercice de ses droits à titre de travailleur et à titre de locataire. La Colombie-Britannique utilise son propre contrat-type pour les travailleurs; le gouvernement du Québec peut en faire autant et imposer un contrat de travail standard reconnaissant le droit du travailleur de choisir et de changer en tout temps son lieu de résidence au Québec.
6. Pratique administrative du MICC permettant d’exiger des travailleurs étrangers temporaires employés à titre d’aide familiale au Québec une preuve de résidence chez l’employeur afin d’être éligible à la procédure de demande de certificat de sélection du Québec (C.S.Q.) nécessaire à l’obtention du statut permanent [PAFR].
Le MICC exige actuellement une confirmation fédérale de résidence chez l’employeur durant 24 mois afin d’être éligible au processus de demande d’un C.S.Q. Cette exigence administrative contrevient au droit à la liberté des travailleuses et implique un obstacle majeur à l’exercice des droits du travail et à l’accès à la justice au Québec. Le RSRE doit exiger du MICC, afin que ce dernier respecte la Charte québécoise et la récente Convention internationale sur le travail domestique, qu’il administre un régime d’émission de certificats de sélection totalement indépendante du lieu de résidence du travailleur.
7. Pratique administrative du MICC permettant l’émission de C.A.Q. en vertu de contrats de travail d’adhésion avec clause relative au logement désigné par l’employeur, mais sans mention de la possibilité pour le travailleur de choisir en tout temps de quitter le lieu de résidence chez l’employeur ou arrangé par ce dernier [PAFR, PTET/agricole, PTET-peu spécialisés]
En validant des contrats de travail stipulant qu’un lieu de résidence pour le travailleur sera désigné par l’employeur, le gouvernement laisse planer une ambiguïté sur la possibilité du travailleur de mettre fin en tout temps à un tel arrangement et à se choisir un autre lieu de résidence au Québec, ambiguïté entraînant un obstacle majeur à l’exercice du droit à la liberté de ces travailleurs. Afin de respecter ce droit, le RSRE doit exiger que les contrats de travail reconnaissent explicitement pour ces travailleurs le droit de choisir en tout temps de quitter le lieu de résidence fourni par l’employeur. Le MICC pourrait également inclure dans les contrats-types imposés une clause précisant le droit du travailleur à une allocation mensuelle pour logement extérieur en cas de choix de ne pas demeurer au lieu de résidence arrangé par l’employeur.
Exclusion de l’accès au statut permanent après 12 mois de travail
8. Article 38.1 b) du RSRE qui donne accès aux procédures de demande de statut permanent après 12 mois de travail uniquement aux travailleurs étrangers temporaires en emploi spécialisé [PAFR/PTAS/PTET-peu spécialisé]
En excluant de manière explicite les travailleurs étrangers temporaires en emploi d’un niveau de compétence C ou D (dit « peu spécialisés »), cette disposition crée une discrimination systémique sur la base du type d’emploi et, en conséquence, sur la base de la condition sociale, en violation directe de la Charte québécoise. La Colombie-Britannique a demandé au gouvernement fédéral d’octroyer sur demande aux travailleurs migrants peu spécialisés un permis ouvert pour le conjoint et l’Ontario un permis ouvert pour leurs enfants en âge de travailler. Aussi, afin d’abolir toute discrimination de travailleurs migrants au Québec sur la base du type d’emploi, le MICC doit demander au gouvernement fédéral d’octroyer sur demande d’un travailleur migrant en emploi peu spécialisé un permis de travail ouvert et/ou un permis d’études pour conjoint et/ou enfants.
9. Pratique administrative du MICC excluant a priori l’expérience de travail agricole ou dans les services de soins à domicile, peu importe l’ampleur des pénuries de travailleurs dans ces secteurs d’emploi, de la liste des qualifications en demande au Québec facilitant l’éligibilité au programme du Québec sous statut permanent à l’intention des travailleurs étrangers
Malgré les pénuries de main d’œuvre dans les secteurs agricole et domestique, le gouvernement exclut l’expérience de travail agricole et de soins à domicile de la liste des formations en demande associée à la grille québécoise de sélection permanente de travailleurs étrangers. La dévalorisation historique au Québec des travailleurs agricoles et domestiques est à l’origine d’un cadre de sélection discriminant sur la base de la condition sociale, en violation directe de la Charte québécoise. Le MICC doit mettre fin à cette discrimination historique et commencer à valoriser notamment les expériences de travail agricole et domestique dans la liste des formations facilitant l’obtention de l’étranger d’un certificat de sélection du Québec.
10. Directive administrative du MICC permettant l’imposition de contrat de travail avec clause spécifiant que le travailleur quittera le pays à la fin de son contrat de travail et avant le 15 décembre [PTAS]
En validant des contrats de travail comprenant une obligation pour les travailleurs de quitter le Québec à la fin du contrat, le gouvernement exclut de manière discriminatoire ces derniers de l’accès à la justice au Québec et de l’accès aux procédures de demande de certificat de sélection du Québec. La Colombie-Britannique utilise son propre contrat-type pour les travailleurs agricoles mexicains et caribéens; le gouvernement du Québec peut en faire autant et imposer un contrat de travail standard reconnaissant le droit du travailleur de demeurer au Québec durant toute la validité de son certificat d’acceptation du Québec.
Il convient de souligner que le respect de la Charte québécoise en matière de sélection et de traitement des travailleurs étrangers nécessite la modification de l’ensemble des dispositions et pratiques listées ci-dessus, puisqu’elles sont toutes interreliées et influent les unes sur les autres.
À titre d’exemple, un travailleur ayant le droit de changer librement d’employeur en vertu de son contrat de travail, mais pouvant toutefois se voir rapatrié ou se retrouver exclu à tout jamais d’une possibilité de réembauche au Québec à la discrétion de son employeur, ne pourra pas dans les faits faire valoir ce droit. Ainsi, suivant cet exemple, le fait d’abolir l’interdiction du libre changement d’employeur ne peut avoir d’effet systémique que si les employeurs n’ont plus la discrétion de faire rapatrier les travailleurs ou encore que si les employeurs ne détiennent plus l’autorité de choisir les travailleurs pouvant être réembauchés l’année suivante.
Il en va de même pour l’ensemble des autres dispositions et pratiques, ce qui explique l’utilisation du cadre juridique de discrimination systémique en l’espèce.
Pour plus d’information à cet égard et pour un rappel sur la compétence et les responsabilités du gouvernement québécois en matière de sélection et de traitement des travailleurs migrants au Québec, y compris des aides familiales et des travailleurs agricoles, lire l’avis juridique de la CDPDJ disponible à l’adresse suivante :
http://www.cdpdj.qc.ca/publications/Avis_travailleurs_immigrants.pdf.
En espérant que vous serez en mesure de répondre positivement à cette demande de rencontre, prières d’accepter, Monsieur le Ministre, nos salutations les plus distinguées.
Me Myriam Dumont-Robillard, Présidente, Association des aides familiales du Québec
514-994-8811, info.aafq@gmail.com
Me Adrienne Gibson, Conseillère juridique principale, DroitsTravailleursMigrants
514-710-7100, coordination_quebec@migrantworkersrights.net
Marc-Antoine Cloutier, Directeur général et fondateur, Clinique juridique juripop
514-710-0684, macloutier@juripop.org
CC : Mme Diane De Courcy, Ministre de l’Immigration, cabinet@micc.gouv.qc.ca
Gaétan Cousineau, Président, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, presidence@cdpdj.qc.ca
Lizabel Nitoi, Attachée politique, Bureau de la Ministre, Immigration et Communautés culturelles Québec, lizabel.nitoi@micc.gouv.qc.ca
Nadine Koussa, Attachée politique, Bureau du Ministre, Ministère de la Justice du Québec, nadine.koussa@justice.gouv.qc.ca
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