2004
Mario Beaulieu
Coupure dans le programme de francisation des immigrants en 2004.
L'Aut'Journal
Le 18 avril dernier, devant les bureaux du Premier ministre Charest, une manifestation réunissant des centaines de Québécoises et de Québécois de toutes origines avait lieu à l’invitation d’une nouvelle coalition regroupant plus de 130 organismes dont la Table de concertation des organismes en francisation, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM), le Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ), le Syndicat des professeurs de l’État du Québec (SPEQ).
Dans l’histoire récente du dossier linguistique, rarement aura-t-on vu une mesure gouvernementale susciter une dénonciation aussi largement partagée. Les titres des reportages et des éditoriaux effectués par des quotidiens tels que Le Devoir et La Presse en disent déjà long : « Les immigrants, les grands perdants », « Coup de hache dans la francisation », « Là où ça fait mal ».
Quand un jovialiste tel qu’André Pratte semble s’inquiéter à propos de l’avenir du français, on peut penser que quelque chose d’inhabituel se passe. L’éditorialiste de La Presse a décrit les impacts linguistiques du budget d’Yves Séguin en ces termes: « Le gouvernement Charest a touché là l’une des fonctions les plus importantes de l’État québécois, l’intégration des immigrants. Faut-il le rappeler ? En raison de la dénatalité, l’avenir du Québec passe par l’immigration. Et l’avenir du français au Québec passe par la francisation des immigrants. […] la réduction des mesures financières d’incitation à la francisation nous semble être une mesure très imprudente. Le pouvoir d’attraction de l’anglais étant ce qu’il est, le gouvernement du Québec doit mettre tous les atouts du côté du français. »
En 1998, le rapport Paradis sur l’offre de service en francisation faisait observer que 40 % des allophones n’étaient pas rejoints par les services de francisation. On y observait que par ailleurs, le milieu de travail montréalais est peu favorable à l’apprentissage et à l’usage du français.
L’an passé, la présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Diane de Courcy, déplorait que dans le quartier Côte-des-Neiges, un des principaux point d’arrivée des immigrants, un grand nombre d’adultes sont privés de cours de français à cause d’une pénurie de personnel enseignant.
Cette année, de nombreux organismes ont fait état de files d’attente sans cesse grandissantes. Selon Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), « Le nombre de nouveaux arrivants a augmenté de 25 % dans les cinq dernières années, mais les ressources, elles, n’ont pas suivi. Nos budgets ont été majorés de 5 % il y a deux ans, mais la clientèle a augmenté cinq fois plus. »
La ministre des Relations avec les Citoyens et de l’Immigration (MRCI), Michelle Courschesne, reconnaissait qu’il y a des délais pour la francisation et se disait prête « à tout faire pour améliorer la situation. »
Pourtant, de tous les ministères, celui de l’immigration subit, en pourcentage, les plus fortes compressions annoncées dans le discours du dernier budget du ministre des Finances, Yves Séguin. Au total, le MRCI voit ses dépenses diminuer de 16,2 %. La journaliste Kathleen Lévesque relevait que ce dernier a annoncé que le MRCI « disposera d’un budget de 5 millions pour améliorer » la francisation des nouveaux arrivants, alors qu’en fait, 5 millions pour faire de la francisation, c’est 6,4 millions de moins que pour la dernière année financière. C’est en fait des compressions de plus de 50 % du programme d’intégration linguistique qui seront appliquées.
Le MRCI doit sabrer les mesures incitatives touchant l’apprentissage du français et les cours de langue dans les Carrefours d’intégration. Notamment, le gouvernement coupe dans les allocations reçues pour les nouveaux arrivants pour leur permettre de se libérer du travail et de suivre des cours de français. Cette allocation de 150 dollars par semaine est ramenée à 30 $. Le remboursement du transport urbain est supprimé.
Malgré cela, le Ministère assure qu’il ne se retire d’aucune de ses activités, mais entend les ajuster dans certains secteurs. En redéployant les cours dans divers organismes communautaires et dans les cégeps, les universités et les écoles secondaires, le Ministère prévoit ainsi économiser quelque 2 millions annuellement en frais de location de salles de cours. Les compressions se feraient dans le cadre de la révision du rôle de l’État.
Les intervenants du milieu pensent le contraire. Le président du Syndicat des professeurs de l’État du Québec (SPEQ), qui représente les professeurs au MRCI, déclarait être profondément indigné devant l’annonce de ces mesures transmises précipitamment et sans aucune consultation. Il considère qu’elles éloignent le MRCI de ses responsabilités à l’égard de la francisation. Parallèlement, selon Marcel Dubé, président du syndicat du Carrefour d’intégration du Sud, l’abolition des cours dans les Carrefours et la diminution de l’allocation de formation auront un impact non seulement sur les 125 professeurs qu’il représente, mais aussi sur les élèves et chez les professeurs occasionnels.
Stephan Reichhold, directeur général du TCRI, fait observer que « les personnes qui ne travaillent pas et qui ont besoin de francisation devront aller cogner aux portes de l’aide sociale. Or, une femme dont le conjoint a trouvé une job au salaire minimum ne pourra y avoir accès puisque son mari est salarié. L’impact est très important pour les femmes, que Mme Courchesne voulait tant aider. » Une professeure relatait un autre exemple: « Où [ un nouvel arrivant ] mettra-t-il ses enfants s’il ne peut pas payer les frais du service de garde de l’école ? Ne sera-t-il pas plus facile de se trouver un petit boulot à Montréal et de parler anglais ? »
« Les immigrants devront choisir entre le travail et les cours de français. On émet l’hypothèse qu’ils vont travailler, surtout en anglais. Cela nous fait nous interroger sur l’avenir de la société québécoise », observe la présidente du Syndicat des professionnels du gouvernement (SPGQ), Carole Roberge.
« Mais le vrai scandale dans tout ça, c’est que le Québec reçoit chaque année plus d’argent d’Ottawa pour l’intégration des immigrants. Où va cet argent ? Personne ne nous donne de réponse », dénonce M. Reichhold. En vertu de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration, le gouvernement fédéral verse annuellement une compensation financière au gouvernement du Québec. En 2002-03, le fédéral a transféré 157 millions au Québec pour l’intégration des immigrants. Pour l’année en cours, Ottawa a prévu donner 164 millions. Cette somme devrait être augmentée à 172 millions pour le budget 2004-05.
Lors de la manifestation du 18 avril, Jean Dorion, président de la SSJBM, organisme qui fait la promotion du français au Québec depuis 1834, dénonçait que le gouvernement Charest veuille réduire les longues files d’attente pour les cours de francisation en les rendant moins accessibles! Forcément, il va les réduire ! Au lieu de donner plus de cours, ça rend leur accès plus difficile. M. Dorion concluait que de réduire le budget des services de francisation « c’est aller à contre-courant de l’histoire du Québec. Le Québec a besoin d’une langue commune qui fera de nous un seul peuple, avec moins d’exclusion et plus d’intégration. Couper dans la francisation, c’est diviser. Franciser c’est unir. »
francisation, coupure, intégration
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