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2009-03-01
Isabelle Hachey
John Aurora, un recruteur sans scrupule exploitant les situations des femmes philippines.
La Presse Affaires
Flora Bautista était domestique à Hong Kong lorsqu'elle a fait la rencontre de John Aurora, un conseiller en immigration qui l'a convaincue de venir travailler à Montréal. Les services de M. Aurora étaient chers mais alléchants: pour 3500$, il promettait de lui trouver un employeur, une condition essentielle à l'obtention d'un permis de travail. Après deux ans, elle pourrait devenir résidente permanente au Canada.
C'était trop beau pour être vrai: à son arrivée à Montréal, en juillet 2006, aucun employeur n'attendait la Philippine de 46 ans. Elle a habité un mois dans le sous-sol du bureau de John Aurora. Puis elle s'est installée dans l'un de ses immeubles, à L'Île-Bizard. Là, une trentaine de ses compatriotes, entassées comme des sardines, se partageaient la cuisine et les douches.
«Comme je ne connaissais personne ici, je n'ai pas eu le choix de signer le bail, raconte-t-elle. Je partageais ma chambre avec une autre femme. Il n'y avait pas de fenêtre. Nos lits avaient été aménagés dans le corridor. Les gens devaient constamment passer dans notre chambre pour circuler.»
Mme Bautista affirme ne pas avoir eu de travail pendant six mois. Elle n'est pas la seule à avoir été bernée, selon l'avocat Miki Harrar. «Plusieurs femmes sont venues me voir en pleurs. Elles avaient travaillé fort en Asie pour économiser les 3000 à 5000$ nécessaires pour payer M. Aurora. Il leur avait promis un emploi, et rien ne les attendait une fois arrivées au Canada.»
Une pratique courante
Plusieurs agences de recrutement se livreraient à cette pratique, qui consiste à inscrire le nom d'un employeur fictif sur la demande de permis de travail, selon Alexandra Pierre, présidente de l'Association des aides familiales du Québec (AAFQ). «Quand les femmes arrivent ici, elles se rendent compte qu'elles ont répondu à une offre d'emploi fictive. Cela permet aux agences d'avoir un bassin d'aides familiales à la disposition des employeurs. C'est complètement illégal puisque l'employeur doit être la personne inscrite sur le permis de travail.»
«Non seulement les femmes qui arrivent ici n'ont pas d'emploi, mais elle doivent payer un loyer à John Aurora, qui a des immeubles à L'Île-Bizard, à Pierrefonds et à Beaconsfield. Après quelques mois, il leur trouve un autre employeur. Mais souvent, elles doivent être payées au noir», dit Evelyn Calugay, présidente de Pinay, un organisme montréalais de défense des droits des Philippins.
Les domestiques qui travaillent sans permis risquent d'être expulsées. De plus, elles ne peuvent évidemment pas déclarer leur travail. Or, en vertu du programme fédéral pour les aides familiales, elles doivent travailler 24 mois au cours d'une période de trois ans pour avoir droit à la résidence permanente. Sinon, c'est l'expulsion.
Directeur de l'agence Super Nanny, John Aurora nie avoir fait de fausses promesses d'emploi à des Philippines. «C'est un non-sens! Nous recrutons des milliers de filles, et elles sont très heureuses. Elles travaillent toutes à leur arrivée. Absolument. Il est impossible de venir ici sans avoir un travail.»
Le site internet de Super Nanny assure un «bassin de nourrices» à ses clients. Or, les délais administratifs pour l'obtention d'un permis sont de plusieurs mois. «Que ce soit pour prendre soin de vos petits anges ou pour porter assistance à une personne âgée dans ses activités quotidiennes, Super Nanny a un bassin de nourrices qualifiées disponibles en tout temps», lit-on sur le site.
«Nous n'avons pas de bassin de nourrices, assure M. Aurora. J'aimerais bien, mais nous n'avons pas ces filles. Elles doivent toutes être légalement parrainées pour pouvoir entrer au Canada.»
Pourtant, Charina de la Cruz, qui dit avoir payé 4600$ à M. Aurora pour ses services, s'est aussi retrouvée sans emploi à son arrivée au pays. Elle a aussi logé dans l'immeuble de L'Île-Bizard. Pour 150$ par mois, les travailleuses philippines s'y entassent les week-ends, quand elles sont en congé. «Moi et quatre autres filles, on se partageait deux lits», raconte Mme de la Cruz.
La Régie du logement s'en mêle
Au début du mois de février, la Régie du logement a rendu deux décisions favorables à Mme Bautista, à Mme de la Cruz et à deux autres locataires, que M. Aurora poursuivait parce que, selon lui, même après avoir déménagé, les quatre domestiques lui devaient encore des centaines de dollars puisqu'elles avaient signé un «engagement conjoint et solidaire» avec d'autres locataires de l'immeuble.
La Régie croit plutôt que M. Aurora a ajouté cette clause après avoir fait signer un bail partiellement vierge aux immigrées. Elle a condamné M. Aurora à payer 1500$ en dommages aux quatre Philippines. Le propriétaire a fait appel du jugement.
«Au fil des ans, M. Aurora a poursuivi avec succès une quinzaine de Philippines, dit Me Harrar, qui a défendu les quatre femmes. Le jugement était rendu par défaut parce qu'elles n'étaient pas avisées de l'audience et ne s'y présentaient pas. Par la suite, M. Aurora faisait saisir le contenu de leur compte de banque.»
Une dizaine d'autres poursuites impliquant M. Aurora sont en attente à la Régie du logement.
Depuis des années, les groupes de défense des droits des immigrés demandent au gouvernement d'encadrer les pratiques des agences. En vain.
L'inertie des pouvoirs publics exaspère Mme Calugay. Les Philippines, dit-elle, sont amenées ici par milliers pour faire un travail sur lequel les Canadiens lèvent le nez. Et elles le font pour un salaire dérisoire. «Nous sommes exploitées et la société l'accepte, fulmine-t-elle. Nous sommes des marchandises jetables.»
Philippines, agent, fraude, recruteur, logement
Home child care providers and Home support workers, housekeepers and related occupations
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